dimanche 12 avril 2009

Tunisie : militantes malgré elles

La guerre contre le terrorisme provoque des dégâts, notamment sur les femmes. En Tunisie, des mères et des épouses de présumés terroristes sont sorties de leurs cuisines pour mener un combat infatigable afin de prouver l’innocence des leurs.

"Mère, Ô combien j’aurais aimé que tu sois à mes côtés afin de me rouler en boule comme le hérisson apeuré, de me réfugier en ton giron et pleurer… Afin de me répandre en sanglots jusqu’au petit matin…" Des lettres comme celle de Hâfidh Barhoumi à sa mère, Zaineb Chebli, Houda, Faouzia, Fatima et beaucoup d’autres femmes tunisiennes en ont reçues. Jadis femmes au foyer, nombre d’entre elles se sont aujourd’hui arrachées à leurs fourneaux pour se jeter dans un combat qui, malgré elles, est devenu le leur.
"La politique ne m’intéressait pas du tout. Je n’ai jamais voté aux élections. Ce qui comptait pour moi c’était ma maison et ma famille", confie Zaineb Chebli. La cinquantaine passée, la tête recouverte d’un voile, elle a appris beaucoup dans le combat qu’elle mène pour innocenter son fils : reconnaître un policier en civil qui la prend en filature, prendre la parole en public, organiser des sit-in et faire signer des pétitions. Les ennuis ont commencé le jour où on est venu prendre son fils. "Un interrogatoire de routine", dit-on aux proches des personnes arrêtées. Mais leurs fils ou époux ne reviendront peut-être jamais, et leur vie relativement tranquille a alors sombré dans la précarité et l’attente.
"Jamais je ne pourrai trouver les mots pour décrire ma peine. Toute la famille vit dans la douleur et le sentiment d’impuissance", témoigne Om Anis, qui attend la sortie de son fils depuis plus que 4 ans. "Ils m’ont pris ce qu’il y a de plus cher pour moi. Toute ma vie a été bouleversée", ajoute-t-elle, les larmes aux yeux.

Le refus de l'arbitraire
En Tunisie, la loi du 10 décembre 2003, dite "de soutien aux efforts internationaux de lutte contre le terrorisme", a été promulguée le jour de la célébration de la Journée mondiale des droits de l’Homme. Elle a entraîné jusqu'à aujourd’hui 1 254 arrestations, selon l’association de lutte contre la torture en Tunisie, pour la plupart des jeunes. Beaucoup d'entre eux n’ont pas eu droit à des procès équitables. Cette loi prévoit des peines allant de 5 à 15 ans de prison et va jusqu'à priver les avocats de leur droit au secret professionnel, au cas où ils seraient informés de faits ou de propos prouvant la culpabilité de leurs clients.
Selon Me Abdel Raouf El Ayadi, qui défend la cause de ces femmes dont la société tunisienne refuse d'entendre les histoires, "la totalité des dossiers que j’ai pris en charge ont été des procès sur aveu et non des procès sur preuves alors que les aveux ne peuvent jamais constituer un moyen de preuve". Avouer est souvent le résultat de mauvais traitements, comme en témoigne cette lettre de K. L. à sa mère : "On m’a mis dans un cachot obscur, dénué de toute installation hygiénique et sans propreté. L’aération faisait défaut, tout comme la lumière. Les cafards infestaient le lieu et j’en ai gardé les marques sur mes jambes. Fatima vit aujourd’hui de l’espoir de retrouver son fils. Elle ne fête plus rien. Chaque semaine, elle doit lui rendre visite avec de quoi manger pour toute la semaine, pour lui épargner la nourriture infecte servie dans l’institution carcérale. "Quand je regarde derrière moi, je me rends compte que j’ai passé 4 ans sur le même rythme. Entre le marché, la cuisine et la prison", s’époumone-t-elle.
Fatima est aujourd'hui membre du Comité des mères des victimes de la loi du 10 décembre 2003. C’est Zaineb Chebli qui a eu l’idée de créer ce comité dont elle est la présidente. "Mon fils avait 19 ans quand ils me l’ont pris. Je savais qu’il n’était pas impliqué et jusqu’à aujourd’hui, je crois en son innocence. Alors, j’ai décidé de lutter pour sa cause" : c’est ainsi qu’elle explique les raisons qui l’ont poussée à créer ce comité. "On m’a expliqué que ça ne serait pas facile, même dangereux. On m’a demandé si j'étais prête à affronter la police qui ne me laisserait plus tranquille. Et j’ai dit oui."

Solidarité dans la détresse
Avant, ces femmes ne se connaissaient pas. Elles se sont rencontrées pendant les longues heures d'attente devant la prison ou à la sortie des commissariats où elles étaient venues chercher des renseignements. Elles ont fini par s'organiser souvent dans la solitude et l’absence du mari ou du fils. À présent, elles s’appellent, se consolent, se racontent leur quotidien et leurs espoirs de voir un jour leurs familles reconstruites.
Le comité organise des manifestations et des sit-in, et ses membres ont aussi appris à jouer la carte des médias. C’est à la faveur de cette solidarité entre victimes que des liens se sont tissés et des actions d’entraide ont vu le jour. "Cela a été frustrant et douloureux pour moi de voir mes enfants embrasser leur père à travers une vitre, raconte Houda, dont le mari est emprisonné dans le cadre de cette loi. Je remarque toujours l’absence du père dans leurs dessins."
YBR+ FJ