Créer un média indépendant en Tunisie est une gageure bien que rien dans les textes de loi ne l'empêche véritablement. Les seuls médias édités dans le pays sont complaisants ou affichent un caractère apolitique. Les autres sont condamnés aux oubliettes, à l'exil ou doivent se contenter du Web.
La quarantaine, cheveux poivre et sel, Salah Fourti est lassé des beaux discours sur la démocratie ressassés par les représentants de l’État. Au lendemain du changement politique du 7 novembre 1987 qui a vu arriver le président Ben Ali au pouvoir, Salah a été le premier à déposer une demande d'ouverture d'une radio privée, Radio 7. Une trentaine d’autres dossiers ont depuis été présentés à l’administration. Tous sont restés sans suite. Le 10 décembre dernier, journée des droits de l'Homme, Radio 7 a fêté ses 21 ans d’attente. "Nous avons écrit au plus haut responsable de l’État et présenté un recours devant le tribunal", raconte Salah, aujourd’hui fatigué de ce rêve qu’il a nourri pendant de nombreuses années. "L’ensemble de nos recours n’a donné aucune solution. Nous n'avons eu droit qu’à des réponses évasives", continue-t-il. Aujourd’hui, il est pourtant à la tête de l’Association des radios libres, qui regroupe les radios qui n’ont pas été autorisées à émettre.
Pouvoir discrétionnaire
Selon Naji el Bghouri, président du Syndicat national des journalistes (SNJ), "c’est l'une des atteintes à la liberté de presse en Tunisie. Il faut remanier le code de la presse pour assurer la libre initiative dans le secteur des médias". La Constitution ainsi que le code de la presse insistent pourtant sur le fait que l’édition est libre et garantie par la loi. Des conditions préalables particulières ne sont pas posées pour se voir accorder une autorisation. Pour Naziha Rejiba, de l’Observatoire national des médias, qui milite pour la libéralisation du secteur de la presse, "chaque citoyen a le droit d’éditer une publication. Or, ce droit nous est pour le moment dénié. Et tous les recours ont été épuisés pour le faire valoir". "En matière de presse, la Tunisie n’est pas un état de droit, mais de passe-droits. J’attends une autorisation pour une maison d’édition depuis février 2007", déclare Taher Bel Hassine, un homme d’affaire, directeur de la chaîne de télévision Elhiwar (Le dialogue) qui émet de l’étranger. "Les chaînes qui fonctionnent actuellement ont été autorisées par décision présidentielle annoncée à l'occasion d'un 7 novembre [fête d'investiture de Ben Ali, ndlr] quelconque", ajoute-t-il.
Depuis le sommet mondial sur la société de l’information organisé en 2005 à Tunis, le pays s'est trouvé obligé de libéraliser un tant soit peu le secteur des médias. Trois autorisations ont été octroyées à Radio jawhara, MozaïqueFm et Hannibaltv, qui ont en commun d'avoir adopté une ligne pro pouvoir et d'axer leurs programmes sur le divertissement. "La libéralisation des ondes n’était qu’un simulacre. La Tunisie ne pouvait ignorer le mouvement mondial de la liberté d’expression et était obligée de s’y engager, tout en ménageant le monopole de fait sur le secteur. Les autorisations ont été octroyées à des personnes faisant partie directement du cercle familial présidentiel", explique Salah Fourti. Radio Zeitouna (L’olivier), qui vient de faire son apparition, est détenue par le gendre du président Ben Ali.
Poussés à l'exil
Selon le SNJ, la Ligue tunisienne des droits de l'Homme (LTDH) ou le Syndicat des radios libres, plus de 100 demandes d’autorisations de médias de presse écrite, radios et télévision confondues attendent toujours d’être satisfaites. Dans un pays où les publications indépendantes font cruellement défaut, la libéralisation du secteur de la presse constitue un souci majeur pour l’ensemble de la société civile. Selon des organismes comme le SNJ, la LTDH et Amnesty international, les titres indépendants ayant disparu à la suite de pressions diverses exercées sur leurs activités seraient plus nombreux que les titres créés. Devant cette réalité, plusieurs porteurs de projets de médias, las d’attendre ces autorisations ou anticipant un refus éventuel, ont choisi de le lancer à partir de l’étranger. D’autres se sont réfugiés sur internet en attendant une hypothétique ouverture. La Chaîne du Dialogue, qui émet par satellite, est diffusée à partir d’Italie tandis que le magazine Africana est édité en France. La revue Kalima s’est transformée en un webzine mais les autorités ont vite réagi en bloquant l’accès à son contenu à partir de Tunis, sort partagé par Radio 7, lancée sur internet en 2008. D’autres campent sur leurs positions et ne cèdent pas encore à la tentation de l’exil ou du Web, mais demeurent dans l'attente. "Je voulais et je voudrai un magazine en bonne et due forme, imprimé sur papier", affirme Noura Borsali, une journaliste qui attend depuis 17 ans l'autorisation de créer un magazine féminin qui s'appellerait "La maghrébine".
Par Féthi Djebali, Youad Ben Rejeb
samedi 11 octobre 2008
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